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23 avril 2008 3 23 /04 /avril /2008 17:12
   La Corse est une terre de Culture. Par sa position géographique au coeur de la Méditerranée occidentale, par ses dimensions - 8762 Km2, environ 1000 km de côtes elle est la troisième grande île de cette région du monde. Dès que l'histoire commence, cette terre particulière est appelée à vivre d'échanges et de confrontations. Son originalité puise sa source dans un constant voyage entre une adaptation humaine au milieu naturel, et les contraintes subies, issues des appétits de nombreuses puissances extérieures.
Esquisse géographique 
   L'île de Corse est d'abord une montagne, et si l'on en croit d'antiques traditions, son nom vient directement de cet aspect premier qui tranche significativement avec celui des îles soeurs. Cette donnée est la clé de la grande variété des paysages morphologiques que l'on recense au cours de sa découverte, une dense mosaïque, faite de quatre grandes unités divergentes.
   La Corse cristalline, majoritairement granitique, qui couvre toute la partie occidentale, avec de nombreux sommets dépassant 2000 m - Monte Cintu, 2707 m, Monte Rotondu, 2625 m, Monte d'Oru, 2391 m, Monti Renosu, 2367 m, l'Alcudina, 2128 m; cette succession régulière, toujours proche de la mer, crée une côte déchiquetée, creusée de golfes profonds, les golfes de Portu, de Sagona, d'Ajacciu et du Valincu.
   La Corse métamorphique, composée essentiellement de schistes. Moins élevée, 1300 m dans le Cap Corse, elle culmine au San Petrone, au coeur de la Castagniccia à 1756 m et concerne exclusivement la partie nord-est de l'île. Entre ces deux zones, se trouve une dépression qui part de l'embouchure du Reginu au nord-ouest et se termine à celle de la Solinzara au sud-est. Son altitude ne dépasse jamais 600 m. Elle lie profondément les deux Corses montagneuses, servant de point de rencontre, de voie de communication privilégiée.
   Ces trois ensembles sont complétés par une grande zone sédimentaire, le long de la côte orientale, qui va du sud de la ville de Bastia, jusqu'au village de Sari di Porti-Vecchju, une région de plateaux peu élevés et de collines adoucies, traversée perpendiculairement par de nombreux fleuves aux larges vallées.
   Enfin il faut mentionner deux enclaves calcaires de petites dimensions, celle de Saint-Florent au nord-ouest, et surtout,celle,spectaculaire, de Bonifaziu, au sud, qui tombe face à la Sardaigne en de superbes falaises.
   Une structure complexe, très originale, qui donne à la Corse un climat très diversifié et des lumières incomparables; un climat fondateur de deux richesses rares en Méditerranée, l'eau et la forêt.
   L'eau est étonnament présente dans l'île. Le relief formant barrière, entraîne de fortes précipitations, en volume sinon en durée, des précipitations abondées l'hiver par les chutes de neige sur les plus hautes cimes. De multiples sources et ruisseaux, et une quarantaine de fleuves irriguent tout le territoire.
   Cette richesse en eau explique la vigueur du couvert végétal. Les forêts sont présentes dans toute l'île. Forêts de hêtres et de pins, au Niolu, dans la Restonica, dans les massifs du Rotondu et du Renosu, ainsi qu'à Bavedda et dans la montagne de Cagna à l'extrême sud. Cette forêt porte la marque du travail de l'homme. Le massif de la Castagniccia, au sud de Bastia, tire son nom de l'omniprésence du châtaigner, résultat de plantations volontaires répétées au cours des siècles. De même, la Balagna et le Valincu sont les terres d'élection d'un autre arbre symbole de la Méditerranée, l'olivier.
   Ainsi les paysages de Corse apparaissent immédiatement comme marqués par les actions humaines. Une preuve supplémentaire se lit près des lieux habités, dans le remplacement progressif de la forêt par le maquis, cet ensemble végétal composé principalement de lentisques, de cistes, de myrtes, d'arbousiers et de bruyères. Une végétation issue des nombreux défrichements par la hache ou par le feu, une pratique archaïque d'écobuage d'où dérive un des fléaux de la Corse contemporaine, qui transforme durablement la réalité du paysage.
   La Corse est une terre profondément rurale, qui a connu jusqu'à nos jours un régime de transhumance, ce constant balancement entre les terres basses et les alpages, entre aussi des concentrations urbaines sur les côtes et des implantations plus réduites, plus éparses, les villages. Ce vaste système d'occupation de l'espace, rythmé d'abord par les saisons, se retrouve curieusement au cours des siècles, au coeur même de l'histoire de l'île.
L'histoire
   L'histoire de la Corse est une histoire longue, touffue, complexe, faite de multiples apports, traversée d'accords, mais aussi de violentes crises de refus, une histoire qui alterne des périodes évidentes de prospérité, et des périodes de silence, comme si l'île puisait en elle-même de nouvelles forces, avant d'affronter d'autres vicissitudes. Mais par delà les péripéties des temps, il reste que c'est par sa Culture, dans sa Culture, que la Corse a toujours su défendre sa spécificité, affirmer son authenticité.
La Corse préhistorique
   Les événements commencent très haut dans le temps, aux environs du 7e Millénaire avant notre ère. Près des côtes, à Bonifaziu et dans l'arrière-pays de Saint-Florent, se trouvent les premières implantations humaines. Mais déjà les montagnes sont occupées, comme celles de la région de Livia. Les habitants sont des chasseurs ou des pêcheurs, et ils ne connaissent pas encore la céramique. Cette dernière n'apparaît que plus tard, en accord avec le grand mouvement de diffusion que connaît la Méditerranée.
   Vers 5000 avant J.C., le Néolithique concerne une population faite essentiellement d'éleveurs transhumants de petit bétail, mouton et porc; l'agriculture ne remplace que progressivement les activités de chasse et de cueillette (glands, céréales sauvages, fruits). Les habitats sont principalement situés dans les vallées, sur des collines basses, à l'abri de rochers creusés par la nature. déjà des cabanes aux assises de pierre et aux murs de torchis existent, comme sur l'îlot de la Pietra à l'Ile-Rousse. Les morts sont enterrés en position ramassée, dans un lit d'ocre ou de cendre, comme à Bonifaziu et à Livia.
   Jusqu'au IIIe Millénaire, on voit les sites se multiplier et occuper peu à peu l'ensemble de l'île. Les plaines s'ouvrent davantage aux travaux agricoles, celle du Liamonu, par exemple, avec le célèbre site du Monti Lazzu, connu pour le grand nombre de meules à grains creusées dans la roche; celle du Tavaru, avec le site de Basi, qui donne naissance à une culture originale de vases polis décorés de motifs complexes que l'on peut admirer au Musée de Sarté ou à Filitosa. Les outils sont principalement en pierre; majoritairement tirés des filons de roche locale, ils sont progressivement remplacés par des roches importées, le silex, mais surtout l'obsidienne, cette roche noire volcanique, que les Corses vont chercher au centre de la Sardaigne, sur les différents gisements du Monte Arci, près de la ville d'Oristano.
   Cette faculté d'exploiter les ressources du terroir et d'être à l'écoute des autres régions du monde, explique, dans un second temps, l'ancienneté de la métallurgie du cuivre, datée de 2600 avant J.C. sur le site de Terrina, près d'Aléria. A partir de 2200 avant notre ère, l'Age du Bronze est un grand moment d'invention architecturale.
   L'île se couvre de monuments complexes, i castelli, ensembles construits plus ou moins fortifiés, regroupant des cabanes autour d'édifices souvent circulaires, parfois rectangulaires, aux fonctions variées. Très bien conservés dans le sud, dans la région de Porti Vecchju, de Sarté, de Livia, du Taravu, on en recense également en Balagna, dans la vallée du Golu près de Ponte Leccia, dans le Niolu, ou sur les crêtes qui dominent l'arrière-plaine d'Aléria. Cette floraison porte la marque d'une transformation durable de la société insulaire, où les groupes humains se différencient davantage les uns des autres.
   Cette évolution est encore plus nette dans le domaine religieux. On assiste à la construction de monuments funéraires collectifs, i stazzoni, les dolmens. Si, là encore, la Corse méridionale est la région la plus riche en vestiges, - Stazzona de Funtanaccia et de Cardiccia près de Sartè, Stazzona du Taravu, Stazzona d'Appiettu, près d'Ajacciu, on en rencontre aussi au nord-ouest dans la région des Agriate, près du village de Santu Pietru di Tenda, et dans le Niolu, près du village d'Albertaccia. Cette présence monumentale de la Mort, affichée bien en évidence sur les crêtes, les plateaux, est un des grands symboles de cette période.
   Au même moment, surgit une forme d'art unique, les statues-menhirs, i stantari. Taillées le plus souvent dans le granit, ces oeuvres, armées d'épées et de poignards, représentent toujours la personne humaine. Issues sans aucun doute des pierres dressées, plus anciennes, dont l'alignement de Paddaghju près du petit port de Tizzanu est le souvenir le plus spectaculaire, ces statues sont nombreuses; on en connaît aujourd'hui près de 90 exemplaires. Les plus remarquables se trouvent sur le grand site de Filitosa dans le Taravu, mais on en rencontre sur le plateau de Cauria près de Sartè, à Patrimoniu et Pieve dans le Nebbiu. Les autres sont dispersées dans différents sites, à Aléria, Livia, Sagona, Olmetu ou Pila-Canali. Cette richesse atteste avec éclat de la vigueur de cette religion locale où l'on sent déjà présente l'influence de cultes lointains, prémices précieux des grands échanges qui marqueront l'avenir.
La Corse classique
   Durant deux nouveaux millénaires, l'île s'ouvre aux grands courants civilisateurs qui traversent l'histoire de la Méditerranée. Cette période, mieux connue grâce aux témoignages des auteurs anciens, forge en effet la trame de l'identité culturelle de la Corse, une identité appelée à durer.
    Les premiers siècles du premier Millénaire avant notre ère marquent le moment où les communautés insulaires attirent les regards des puissances maritimes, les Grecs, les Puniques et les Etrusques. Ce triple appétit fait naître un grand centre urbain, Aleria, au coeur de la plaine orientale, d'où rayonnent vers l'intérieur les progrès venus du dehors; l'écriture tout d'abord, et la monnaie, symbole concret des échanges marchands qui conditionnent désormais la vie des insulaires. La Corse joue même un rôle important dans les confrontations internationales, comme l'atteste la Bataille d'Alaliè-Aleria en 535 avant J.C., qui crée un nouvel équilibre des forces entre l'expansion grecque et la puissance des Etrusques et des Carthaginois. C'est un moment de choix culturel pour les communautés qui profitent des acquis nouveaux et les adaptent à leur sensibilité. Les importations d'objets issus des ateliers d'Athènes ou d'Etrurie, voisinent avec les productions locales, comme les fibules de bronze ou les céramiques à dégraissant d'amiante, qui sont, dès les années 1000 avant J.C., la trace vivante de l'esprit inventif des Corses. La grande nécropole du site d'Aleria, où de vastes tombes creusées dans l'argile recèlent un amoncellement d'objets venus des quatre vents de Méditerranée, montre avec certitude la richesse augmentée de la Corse.
    Cette richesse porte en elle de graves ferments de destruction. Rome, qui entame son destin de grande puissance unificatrice du monde, ne peut laisser, si près des côtes italiennes, une terre prospère, sans être poussée à la contrôler. En 259 avant J.C., débute la conquête, qui dure deux siècles pleins. Les Corses résistent fermement, mais s'épuisent, et cédent devant ce constant effort de soumission. Rome fonde des colonies, Mariana au sud de Bastia, et Aleria, qui garde son rôle ancien de capitale de la Corse. Ces deux fondations s'accompagnent de la mise en place de multiples petits centres côtiers, destinés à mieux contrôler les multiples régions du terroir insulaire. A Bonifaziu, à Sagona, à Ajacciu, ou Saint-Florent, des ruines, certaines encore mal connues, attestent de cette politique de mainmise. La Corse devient une simple terre à exploiter, elle perd sa fonction de grande île autonome, et doit se fondre dans les cadres de l'Empire, pour qui elle n'est plus que terre secondaire.
    L'histoire, pourtant, lui donne sa revanche. Quand cet Empire vacille, à partir du IVe siècle de notre ère, la Corse redevient immédiatement un enjeu pour les différents partenaires qui s'affrontent pour le contrôle de la Tyrrhénienne. Le temps des Barbares signifie l'heure de grands bouleversements idéologiques et religieux. Le Christianisme se diffuse précocement à partir des anciens centres, et parmi tous les peuples, Vandales, Goths, Byzantins, il semble que ce soient les Lombards qui redonnent vigueur aux lieux antiques de la Romanité. Les bâtiments religieux, tels la Basilique de Mariana et de son baptistère, celle de Sagona, ou, dans la vallée du Golu, celle de Valle di Rostinu, portent la marque de leur influence, et soulignent que c'est désormais dans la foi chrétienne, une foi faite d'archaïsme et de tendances schismatiques, que les insulaires fondent pour longtemps leur conscience profonde.
   Les deux derniers siècles du Ier Millénaire de notre ère sont une période sombre pour la Corse. Les incursions des Mores, puis des Sarrasins, la plongent dans un ensemble de troubles et de destructions que n'arrivent guère à conjurer les efforts conjoints des Carolingiens et de la Papauté. Celle-ci s'affirme cependant comme grande protectrice des Corses. La paix revenue sur mer, grâce aux actions diplomatiques et militaires de la ville de Pise, c'est à cette grande puissance que la Rome chrétienne confie la garde de l'île à la fin du XIe siècle.
La Corse romane
   Avec ce nouveau maître, la Corse connaît une période de progrès, dont le témoignage le plus éclatant est le surgissement d'une multitude d'édifices religieux dont la décoration emprunte, durant trois siècles, au symbolisme roman. Les anciens évêchés de Mariana, Sagona, Ajacciu, Aleria et Nebbiu, sont restaurés, et on y bâtit des sanctuaires imposants, dont deux sont encore en l'état, Mariana et Nebbiu. Cette réutilisation des plaines s'accompagne d'une diffusion régulière vers l'intérieur. Dans le cadre des pievi, structures juridiques et religieuses, on s'attache à regrouper les membres dispersés des communautés archaïques. Cette occupation de l'espace entraîne une hiérarchie des lieux de culte. A partir des églises principales, des églises de moindre dimension, toujours décorées de sculptures à vocation évangélisatrice, essaiment à leur tour dans leur environnement proche en une multitude de petits sanctuaires au fond des vallées, auprès des cols, voire au sommet des montagnes, comme si l'on voulait ne laisser aucun vide dans l'île.
   Tous ces bâtiments répondent au même type d'architecture. A deux exeptions près, Santa Mariona près de Corti, et Santa Cristina de Valle di Campuloru, sur la côte est, les églises se tournent vers l'orient avec une abside semi-circulaire percée d'une étroite fenêtre, parfois encadrée de bandes verticales en relief, dites bandes lombardes. Le toit de l'édifice est couvert de lauzes de schiste, de dalles de pierre, ou de tuiles "canale" suivant les régions. La décoration court régulièrement le long des gouttières, occupe les hauts des frontons, les linteaux des portes, portes principales comme à Mariana, ou latérales comme à Cambia en Castagniccia; les ouvertures latérales, comme à Aregnu en Balagna, ou à San Micheli de Muratu, dans le Nebbiu. Cette dernière église est célèbre par la polychromie de ses murs, blanc et vert sombre, qui renvoie directement aux édifices contemporains de Pise, de Lucques, d'Assise ou de la Sardaigne.
   C'est leur ornementation qui fait tout l'intérêt de ces églises. Elle se rattache aux différents thèmes du symbolisme roman, mais un symbolisme enrichi par l'imaginaire des insulaires. Si les premières oeuvres semblent simplement gravées sur la pierre comme à Santa Maria d'Olmeta di Tuda, c'est dans la sculpture en ronde bosse que cet art connaît son épanouissement. Les sculpteurs aiment les symboles abstraits, les étoiles, les cercles concentriques, les feuilles d'acanthe, les rosaces, ou encore les tresses, avec les beaux exemples de Piedicorti di Gaggiu entre Corti et Aleria, de San Petru de Lumiu en Balagna, autour des fenêtres de San Micheli de Muratu, ou sur la porte sud de San Quilicu de Cambia en Castagniccia. D'autres figures sont également au répertoire, les représentations animales, comme les lions affrontés de San Parteu de Mariana, ceux de la corniche méridionale de San Ghjuvanni de Carbini, près de Sartè, les paons affrontés de l'intérieur de A Trinità d'Aregnu, ou les deux colombes des arcatures de l'abside de San Petru de Lumiu.
   Mais l'animal le plus représenté reste le serpent. Les artistes insulaires le montrent très souvent, parfois deux fois sur le même édifice, comme à Cambia. A Carbini et à Saint-Florent, sous forme de chapiteau, ils s'enroulent deeux par deux; à Muratu, au contraire, ils composent une tresse ondulée; à Aregnu, ils viennent souligner le pilier central d'une fenêtre géminée. Ce sont encore eux qui sont tentateurs à Cambia et Muratu, et vaincus une seule fois, à Cambia, toujours, par un personnage vêtu d'une robe de moine. Cette représentation rappelle l'extraordinaire accueil que la Corse réserve, dès cette époque, aux ordres mineurs, principalement aux Franciscains. Leur idéal semble conforter les choix des habitants au point que la Corse romane s'étire dans le temps bien au-delà des limites admises pour les autres régions d'Europe. Il n'y a d'ailleurs pas d'art gothique en Corse, à l'exception d'une église du comptoir ligure de Bonifaziu, San Dumenicu, qui montre déjà l'intérêt croissant de la cité de Gênes pour l'île. Cette perduration des formes anciennes s'achève en plein XIVe siècle, lorsque les Corses se reconnaissent dans l'hérésie des Giovannali de Carbini. Leur anéantissement clôture les effets de la prédication franciscaine, cette oeuvre longue couronnée de succès, comme le prouvent de nombreux couvents, parmi eux, celui de San Francescu de Tallà dans la vallée du Rizzanesi, ou celui d'Orezza au coeur de la Castagniccia.
L'âge de la fresque
   Le XIVe et XVe siècle sont une période de transition pour la Corse. C'est l'heure où les communautés, pour se défendre des trop nombreuses razzias des Barbaresques d'Alger, se regroupent en villages, ces lieux privilégiés de la sociabilité, dont la densité est la marque de la Corse. Lorsque, après la Bataille de la Meloria, en 1284, Gênes remplace Pise, cela ne change pas encore fondamentalement les bases de ce développement. Un grand courant artistique voit alors les églises embellies par une floraison de fresques, qui renouvellent fortement leur décor.
   C'est cet art, en effet, qui livre l'essentiel de l'âme corse. 23 églises conservent encore les vestiges de ce moment privilégié. Parmi elles, l'église de Brandu dans le Cap Corse, d'Aregnu et de l'Oratoire Sant'Antonu de Calvi en Balagna, Santa Cristina du Campuloru, près de Cervioni sur la côte est. Le centre montagneux apparaît comme une terre d'accueil particulièrement féconde en créations, avec, près de Corti, San Micheli de Castirla, et dans le Boziu, Santi Niculaiu de Sermanu, Santa Maria Assunta de Favalellu, dans le Rostinu, San Pantaleu de Gavignanu, San tumasgiu de Pastureccia, et San QUilicu de Cambia. Quant au sud de l'île, il n'a laissé subsister que les fresques de la chapelle Santa Maria de Quenza, en Alta Rocca, les autres églises ayant été remaniées à époque plus tardive. Cet important ensemble prouve brillament la synthèse réussie entre les artistes de la terra ferma et les artistes corses qui communient dans le même univers spirituel.
   Mais les contraintes extérieures font brusquement disparaître cet élan créateur. Gênes assure chaque jour davantage son empire. A partir des centres militaires qu'elle installe pogressivement, Calvi dès 1268, Bastia vers 1380, Saint-Florent et Ajacciu durant le XVe siècle, et Porti Vecchju au début du XVIe, la cité ligure aménage la Corse suivant ses propres canons qui sont ceux de la première puissance marchande de Méditerranée.
 
La Corse baroque
   Durant 250 ans, les villages subissent une transformation importante. Ils se structurent davantage et accueillent en leur centre des centaines de nouveaux édifices religieux.
   Cette imbrication neuve entre l'univers laïc et l'univers religieux est une date importante pour la culture insulaire. On le perçoit d'abord en rappelant combien la musique d'église qui s'enrichit des orgues que l'on installe partout, régénère le chant traditionnel en enrichissant sa structure polyphonique archaïque de modes et d'harmoniques spécifiques. Cet essor culturel bien perceptible, a pour foyer Bastia, qui devient officiellement Città Capitale del Regno di Corsica. Les communautés villageoises, et, en elles, les Confréries en plein essor, structures d'entraide et de solidarité et ciment de la Renaissance corse, puisent dans les thèmes architecturaux et décoratifs mis en place dans la grande cité. Région par région, on a le fort sentiment que, chacun des évêchés insulaires, met comme un point d'honneur à donner vie et relief à son adhésion à la réforme entreprise par le Concile de Trente, après 1570.
   Chaque église, partant d'un ensemble de traits communs, les façades à fronton triangulaire ou curviligne, soulignées par des rangées de pilastres verticaux, percées de niches agrémentées de corniches, y ajoute ses valeurs propres. Parmi les plus spectaculaires, se trouvent les églises de Bastia, surtout San Ghjuvanni de Terra Vecchja, à côté du vieux port, et l'Oratoire Santa Croce, derrière la Cathédrale Santa Maria de la Citadelle; à Ajacciu, la Cathédrale; en Castagniccia, l'église et le clocher de San Ghjuvanni de la Porta d'Ampugnani, celle de San Biasgiu de Calenzana en Balagna, l'Oratoire Santa Croce de Corti. A côté de ces églises ou oratoires de modèles citadins, il faut rappeler l'invention rencontrée dans certains édifices ruraux, comme l'église de Patrimoniu dans le Nebbiu, celle de Pinu dans le Cap Corse, ou encore celle de Zuani, dans les montagnes en arrière d'Aleria.
   Si cette époque apparaît comme une nouvelle affirmation des aspirations corses, si, elle aussi, empiète chronologiquement au-delà des limites traditionnelles, et se prolonge jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, c'est pourtant en elle, que les Corses puisent les raisons d'un ressentiment croissant envers Gênes, comme si, désormais, l'île souhaitait s'affranchir d'une tutelle, qui, l'ayant enrichie, freinait pour l'avenir son désir de liberté. Au XVIIIe siècle, la Corse, s'appuyant aux racines profondes de sa culture, va s'élancer dans une tentative continue d'affirmation nationale. 
La Corse des révolutions
   Le développement du siècle baroque est porteur de crises qui prennent alors toute leur ampleur. L'enrichissement s'accompagne d'une croissance démographique, mais celle-ci entraîne des phénomènes de disette, et la pression fiscale de l'état gênois devient plus difficile à supporter. Les communautés sont, en outre, traversées par des conflits internes. Gênes privilégie l'agriculture et surtout l'enclosure des propriétés, ce qui restreint l'espace dévolu à l'élevage, qui reste le mode de production préférentiel. Chez les éleveurs transhumants, ce groupe social qui symbolise le mariage entre les hommes et le terroir, naît une sourde rancoeur, qui fait d'eux les principaux acteurs de la révolte corse.
   Cette révolte est complexe, à la fois tournée vers la restauration des structures passées, et traversée par les idées nouvelles qui illuminent le siècle. Ces Lumières se diffusent d'autant mieux que, depuis plusieurs décennies, la jeunesse corse se forme dans les universités italiennes, à Pise, à Florence, à Bologne et à Rome. Ces jeunes gens rentrent dans l'île, bien décidés à obtenir de Gênes les places qu'ils estiment mériter; ils veulent diriger la Corse eux-mêmes, mais, dans un premier temps, toujours avec la République.
   La révolte débute en 1730 par un soulèvement populaire contre l'impôt. Gênes, bousculée, a une réaction d'incompréhension et d'incapacité, qui entraîne de la part des insurgés l'appel aux classes éclairées, un recours symbolisé par une Cunsulta, cette forme corse d'assemblée collective, qui se réunit à Corti en 1735. Les notables cherchent de nouvelles formes de gouvernement et tentent de concilier les aspirations populaires avec un système largement inspiré du modèle gênois. Mais la cité reste indifférente et répond à ces revendications, somme toute modérées, par l'envoi de troupes autrichiennes. Après l'échec de cette soumission militaire, Gênes entreprend un jeu habile de diversions au sein des insurgés, toujours à la recherche de leur unité. Cette politique trouve un écho favorable, les principaux chefs étant toujours disposés à trouver un terrain d'entente avec la Sérénissime République.
 
Théodore de Neuhoff roi de Corse
   Mais un fait nouveau se produit en 1736. La Corse avait éveillé l'intérêt de nombreuses personnalités en Europe. Parmi elles, un Baron de Westphalie, Théodore de Neuhoff, rassemble armes et subsides pour porter secours aux révoltés. Il promet, à la seule condition d'être nommé Roi de l'île, d'aider les Corse à chasser définitivement Gênes. Pour la première fois, on proclame l'indépendance de l'île, au nom des Lumières et du progrès nécessaire. Théodore débarque à Aleria, est reconnu Roi de Corse, et entame un série de réformes. Il frappe monnaie, symbole de souveraineté, fait élire des cadres dirigeants nouveaux. IL promulgue même, et c'est une première, la liberté de conscience, afin d'attirer des Juifs en Corse pour asseoir une politique autonome de développement. C'est avec lui que l'île entre de plein-pied dans le siècle des Révolutions. Les puissances d'Europe sont d'abord étonnées, puis très vite agacées devant ce danger inédit; les dirigeants insulaires n'y croient guère, et leurs atermoiements, leur manque de décision et leurs dissensions laissent Gênes reprendre l'initiative. Elle fait appel aux troupes françaises pour rétablir la totalité de ses droits sur l'île.
   8000 hommes débarquent à Saint-Florent, et, s'ils connaissent une première défaite à Borgu en 1738, dès 1740 l'île est pacifiée. Les chefs de l'insurrection doivent partir en exil en Italie. Durant dix ans, La Corse connaît une situation paradoxale. Les insurgés profitent des événements qui secouent l'Europe, pour conduire chaque année des opérations contre les places côtières, les preside, tenues par les Gênois. La France, de son côté, entame une politique pour son propre compte, qui fait que les Corses révoltés commencent à s'allier aux troupes du Roi qu'ils considèrent comme garantes de leurs droits. Mais, en 1752, la France remet l'île au pouvoir gênois; la Corse, plus sûre d'elle, se révolte une nouvelle fois. Elle fait appel, pour réaliser son unité, au fils de l'un des chefs exilés en 1740, Pasquale Paoli.
 
Pasquale Paoli et la  réalisation de l'indépendance
   Pasquale Paoli est l'homme du XVIIIe siècle avec lequel durant 14 ans, la Corse devient la première Nation moderne d'Europe. Ouvert aux idées de son siècle, il est persuadé qu'il faut réaliser concrètement l'indépendance de l'île, et ce, de façon plus réfléchie que lors de l'expérience de Théodore. Il est le premier grand chef d'Etat révolutionnaire et son action inspirera aussi bien Georges Washington que le Marquis de Lafayette. Pour lui, l'indépendance tire sa légitimité de la profondeur du sentiment national de ses compatriotes,et, surtout de la nature des choses, qui veut que, par son histoire et sa position géographique, la Corse jouisse de toutes les libertés d'une nation. Cette vision politique et culturelle s'affirme par une action résolument novatrice.
   L'instauration du suffrage universel, y compris pour les femmes chefs de famille, fait de son régime une république. Il réaffirme la liberté de conscience. Il crée une capitale, Corti, et affiche la souveraineté de la jeune nation par le choix d'un drapeau, la Bandera à tête de More, par la création d'un journal officiel, les Ragguagli di l'Isola di Corsica, et par la frappe d'une monnaie. Pour mieux asseoir son pouvoir dans une île en ébullition depuis 25 ans, Pasquale Paoli crée une Justice hiérarchisée, une Milice Populaire pour la conduite de la guerre, et une Junte pour les opérations de police. Pour préparer l'avenir, l'instruction publique est confiée à l'Eglise. Une Université est fondée à Corti, preuve éclatante de l'enracinement dans le siècle. Ouvert aux projets d'amélioration économique, il crée un port à l'Isula (Ile-Rousse), pour contrer les trop gênoises cités de Calvi et de l'Algajola en Balagna. Il rénove les pratiques agricoles et introduit la culture de la pomme de terre. Enfin, Paoli structure une marine, destinée à insérer l'île dans les routes du commerce interméditerranéen. Au total cette oeuvre immense manifeste son idéal d'homme de progrès, désireux de puiser dans l'île les bases solides d'une jeune démocratie, à souveraineté populaire.
 
La conquête française
   Cet effort novateur fait que la Corse suscite l'intérêt des élites en Europe, mais, surtout, ravive la crainte des puissances. Gênes, réduite à ses seules possessions maritimes, se tourne une nouvelle fois vers l'unique puissance susceptible de restaurer son autorité, le Royaume de France.
   Le 15 mai 1768 est signé le Traité de Versailles, dans lequel la République italienne vend ses droits de souveraineté à la France, à titre de nantissement du coût des opérations militaires destinées à ramener l'ordre dans l'île. La Corse réagit à ce marché par l'appel à la guerre à outrance contre le nouvel envahisseur. La guerre commence par une grande victoire corse à Borgu, les 8 et 9 octobre 1768. La France réagit, 30 000 hommes sont envoyés dans l'île, et le 8 mai 1769, c'est la défaite de Ponte Novu, sur le Golu, entre Corti  et Bastia. C'est la fin de l'indépendance de la Corse et Pasquale Paoli s'embarque pour l'Angleterre.
   La fin du siècle marque l'achèvement de la conquête. Une soumission brutale et une paix de fer. La Corse de l'Ancien Régime se met lentement en place dans un pays soumis à un régime d'exception; les pouvoirs militaires sont dévolus à un gouverneur et les pouvoirs civils concentrés dans les mains d'un intendant. Les choix de la Royauté sont de tout faire pour sortir la Corse de l'orbite de l'Italie, afin d'assurer le mieux possible sa puissance. Cette politique n'aura guère le temps de porter ses fruits, car, dès 1780, la France,  à son tour, entre dans la période des soubressauts révolutionnaires.

La Révolution Française et le Royaume Anglo-Corse
   La Révolution Française voit le retour de Pasquale Paoli en Corse. Fêté par les révolutionnaires parisiens, il est chargé par eux de la mise en place de la nouvelle administration républicaine, la Corse étant reconnue, dès le 30 Novembre 1789, "partie intégrante de l'Empire Français". Cette reconnaissance de son rôle de précurseur est pourtant de courte durée. Car il existe une divergence de vues importante entre les deux parties. Pasquale Paoli est heurté par les revendications maximalistes des Jacobins, qui voient en lui un obstacle à la réalisation de leurs objectifs.
   La rupture est définitivement consommée en 1794. Le 10 Juin, en réponse à la mise hors-la-loi de Paoli, une Cunsulta prononce "la rupture de tout lien politique et social" entre la Corse et la France. Le 19 Juin est promulgué l'acte constitutif du Royaume Anglo-Corse. L'île forme un royaume distinct de l'Angleterre, appelée en garante de sa souveraineté. Le Roi Georges est représenté en Corse par un vice-roi, chargé de concilier les intérêts  des deux nations. Mais des dissensions, nées encore une fois des divergences de conception, font que ce vice-roi fait rappeler Pasquale Paoli à Londres en 1795. Cette action contribue à détériorer davantage les rapports déjà tendus entre Corses et pouvoir anglais. A l'heure où les armées républicaines françaises, conduites par un général du nom de Bonaparte, entamant leur marche victorieuse en Italie, Londres croit impossible de défendre convenablement cette île révoltée. Les Anglais évacuent la Corse durant l'année 1796, et dès le mois d'Octobre, les détachements français réoccupent l'île sans coup férir.
La Corse Française
   L'intégration au nouveau pouvoir est difficile. L'Empire napoléonien met la Corse, toujours rétive, hors constitution dès 1801, et la soumet à un régime de dictature en groupant tous les pouvoirs aux mains d'un gouverneur militaire. Cette brutale remise en ordre dure jusqu'au milieu du XIXe siècle. Ajacciu remplace Bastia comme chef-lieu du département, et, dès 1818, une loi douanière frappe d'imposition toutes les exportations de produits de l'île. Les révoltes politiques s'atténuent , mais elles perdurent sous une nouvelle forme, celle d'un banditisme important qui déstabilise davantage la société insulaire déjà ébranlée. La francisation de l'île reprend, mais elle est lente, et ne prend vraiment effet que dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire. C'est surtout après 1870, que la IIIe République transforme l'île.
   Car l'histoire ne s'arrête pas. La Corse est encore soumise aux influences venues d'Italie, parce qu'elle est durant tout le XIXe siècle une terre d'accueil pour les Carbonari, et pour les républicains italiens du Risorgimento. Les Corses prennent alors conscience de leur originalité, en réaction aux progrès  indéniables de la francisation. Un réseau efficace de libraires et d'imprimeurs, installés principalement à Bastia, qui joue le rôle d'une capitale intellectuelle, permet l'apparition d'une littérature d'expression corse. Historiens, poètes, compilateurs de chants traditionnels, et aussi photographes, s'investissent pleinement dans le domaine corse. A partir de 1880 des Sociétés Savantes sont créées et regroupent les travaux des chercheurs portant sur la Nature et l'Histoire de l'île. Ce mouvement est relayé par la politique de formation mise en place par la France. La République entame un travail de scolarisation poussée, chaque ville reçoit un lycée. Les jeunes générations sont désormais formées dans l'île, et par la croissance des besoins en cadres née de l'essor de la colonisation de l'Afrique ou de l'Indochine, se détournent du continent italien et s'investissent dans la société française. Jusqu'à la Première Guerre Mondiale, la Corse se repeuple et se développe, comme l'attestent les nombreuses constructions qui, à cette époque, parsèment à nouveau l'ensemble du territoire.

La Corse Contemporaine
   La grande guerre de 1914 marque l'entrée de la Corse dans le XXe siècle. La ponction en hommes qui en résulte déstabilise profondément la société rurale, et l'entre-deux-guerres est marqué par un exil massif des insulaires vers la France, Marseille devenant un lieu d'accueil privilégié. Cette assimilation est solide. Face aux prétentions irrédentistes de l'Italie Fasciste, l'île se dresse contre l'envahisseur et par une résistance populaire efficace, est, dès 1943, le premier département français qui se libère. Le Temps de la Décolonisation, après 1960, ouvre à son tour une nouvelle page.
   L'aménagement soudain en routes, la création de réseaux d'adduction d'eau et d'électricité, la mise en valeur agricole de la côte est, et le début d'une politique de promotion des richesses touristiques, transforment profondément l'aspect du territoire. Cette intrusion de l'économie marchande dans une Corse encore soumise au départ d'un grand nombre de ses habitants, entraîne une série de réactions de la part des insulaires. Des réactions politiques, avec la réapparition de revendications nationalitaires, dont les protagonistes n'hésitent pas à recourir aux moyens violents, comme le symbolisent en 1975, les événements d'Aléria. Ce réveil brusque s'accompagne d'une véritable renaissance culturelle, focalisée durant toutes les années de la Ve République, par la demande insistante de la réouverture d'une Université dans l'île, qui est effective en 1981.
   A cette date, la Corse sert aussi de laboratoire pour la Décentralisation qui est projetée en France, et est dotée d'un Statut Particulier, avec une Assemblée Régionale élue au suffrage universel. Durant cette fin de siècle, chercheurs, poètes, plasticiens, hommes de théâtre, romanciers, éditeurs, chanteurs et groupes musicaux traditionnels se multiplient aux quatre coins de l'île, et montrent une étonnante vigueur pour une terre qui reste, encore aujourd'hui, la moins peuplée de Méditerranée.
   Une fois encore, c'est bien cette donnée qui souligne combien la Corse est une terre de Culture. L'île se prépare ainsi à s'insérer dans l'Europe, cette structure nouvelle toujours en chantier, qui lui ouvre une autre route pour son avenir. Terre surprenante par son aspect, complexe par la richesse de son histoire et de ses productions artistiques, la Corse semble trouver dans ces bouleversements l'occasion renouvelée de s'inscrire pleinement au coeur de la Méditerranée.
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